Publié hier en réaction aux propos d’Alain Bauer sur le site du Monde.fr, l’article « Non, les jeux vidéo ne forment pas des djihadistes, mais… » de William Audureau semble prôner une position critique -mais plus juste- sur la représentation de la violence dans les jeux vidéo. J’y trouve une lecture différente, mettant en évidence une certaine démonstration d’une forme de bien-pensance tout autant régie par le contexte politique et émotionnel actuel, qui autorise les propos du criminologue suscité.
MAJ :
Après un échange avec l’auteur de l’article du Monde.fr, William Audureau (les échanges sont visibles ici : https://twitter.com/Willvs/status/581422288207245312), il est intéressant et important de préciser sa position quant au point de départ de mon commentaire. Pour lui, il n’y a pas de relation de causalité à voir en ce début d’article, mais une simple accroche pour le lecteur.
@thomascconstant Ce n’était rien d’autre qu’une accroche actu, un « Tout le monde parle de ça, mais en fait voilà ce qui nous gêne nous »
— William Audureau (@Willvs) 27 Mars 2015
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L’article, disponible ici, commence fort : « Non, les jeux vidéo ne sont pas utilisés par les djihadistes pour se former […] » Mais en un choix de liaison entre le paragraphe 1 et le paragraphe 2, l’argumentaire prend une tournure bien plus discutable : « Et pourtant. »
Et pourtant. Depuis plusieurs années, scènes de torture, mise en scène d’exécutions sommaires ou sadisme récompensé se multiplient dans les productions à grand budget.
Boum
En deux mots, l’article semble créer une relation de causalité, que je qualifierai d’abyssale tant elle vient à questionner sur son sens : « Non, on ne devient pas violent en jouant à un jeu vidéo et pourtant, il y a beaucoup de scènes de violences dans les jeux vidéo. » C’est abyssal parce que flou, ouvrant sur des interprétations qui semblent contredire le paragraphe précédent : cela peut sous-entendre que, malgré tout, il se pourrait qu’il existe un impact de ces scènes violentes sur le joueur. Mais de quel impact parle t-on ?
En suivant, l’article égrène des exemples de scènes de violence physique dans des jeux vidéo AAA pour le grand public, ce qui semble aller dans le sens de l’interprétation suscitée : « Non, on ne devient pas violent en jouant à un jeu vidéo et pourtant, il y a beaucoup de scènes de violences et de démonstration de cruauté dans les jeux vidéo à disposition du plus grand nombre. » Poursuivons.
Et quand ce n’est pas par leur sadisme qu’ils se distinguent, c’est par leur violence symbolique.
Bou… Attend, quoi ?
Qu’est-ce que l’article entend par une (ou la) violence symbolique ? Pour expliciter son propos, de nouveaux exemples sont appelés : citations célèbres dans les temps de chargement de Call of Duty, présence de PNJ qui justifient leurs propos violents par des citations de textes sacrés dans Far Cry 4, et d’autres. Mettons de suite de côté Pierre Bourdieu, qui semble être hors de propos : la violence symbolique dont il est question dans l’article n’est pas à voir dans sa fonction sociale, mais plus simplement dans la représentations de symboles de la violence dans certains jeux. Mais est-on sûr qu’il s’agit de bien là de symboles a priori (une citation ? Un fanatique religieux ?), et non pas d’un effet de translation entre le cadre du disposition définissant le discours (jeu de guerre, jeu d’action, jeu de braqueurs de banques) et notre perception des symboles ?
Il n’existe pas de symboles « purs », décontextualisés ; le symbole est un élément de représentation, qui fait sens par association (lié à notre expérience de notre culture, notamment). Autrement dit, il serait un peu naïf de trouver dans un jeu dit violent des symboles qui viendraient renforcer le discours violent. Toutefois, nous pouvons choisir de feindre cette surprise ; mais dans quel but ?
Avançons dans l’article, sautons un passage intéressant, mais que j’aurai aimé être plus documenté par différentes sources, sur les « labels » précisant le degrés de violence dans les jeux (comme ceux gérés par le PEGI) pour se focaliser sur la dernière partie. La toute fin vaut pour synthèse :
En tant qu’industrie créatrice, le monde du jeu vidéo a le droit et le devoir de s’interroger sur les représentations du monde qu’il véhicule. Il a mieux à faire que de courir après le réalisme d’un côté et d’inciter le joueur à abattre des personnages dans le dos ou à terre, froidement, sans lui laisser le choix, juste pour le seul fantasme de la « maturité ». Pas tant parce que le jeu vidéo est dangereux. Juste parce qu’il vaut mieux que ça.
Badaboum
Tout d’abord, « le monde du jeu vidéo » est restreint à sa valeur productive, industrielle. Cela va dans le sens de l’article qui ne cite que des exemples de jeux AAA, et aucune production indépendante ou qui a été présentée comme subversive (donc jouant sur des codes et symboles, consciemment). Pourquoi ne pas parler du cas de Hotline Miami 2, qui va très loin dans la représentation de la violence, ou encore Spec Ops: The Line ? Parce qu’il y a là l’enjeu d’une confrontation frontale avec le débat du « jeu d’auteur », ou encore, du jeu comme œuvre artistique. Il semble a priori plus délicat de demander à un artiste de s’imposer « […] le droit et le devoir de s’interroger sur les représentations du monde qu’il véhicule. », car il est forcément conscient de son acte de création (cela ne veut pas forcément dire qu’il en ressent la portée).
Mais… Pourquoi le serait-ce ? Pourquoi serait-il plus délicat de le demander à un artiste plutôt qu’à un industriel ? Parce que l’un cible un groupe réduit et l’autre touche un public extrêmement large ? Si c’est ça, c’est limiter le débat à une donnée purement consumériste, et est peu intéressant sur le plan artistique, philosophique et moral. Mettons qu’il s’agit d’autre chose.
L’artiste s’interroge sur la représentation du monde qu’il véhicule, consciemment ou non. A l’inverse, l’article sous-entend que ce n’est pas le cas de l’industriel. Que ce dernier est, au mieux incompétent, au pire inconscient lorsqu’il vend des produits représentant un monde violent. Mais de nouveau, il faudrait être naïf pour croire que l’industriel n’a pas conscience que ses produits véhiculent un discours (violent ou non). Hollywood en est le parfait exemple, car le mieux documenté, mais cela vaut aussi bien pour toute production culturelle.
Le jeu vidéo est un objet culturel, il est créé par des hommes et femmes de cette culture, packagés par d’autres de la même culture, consommés encore par d’autres, etc. Il est évident qu’à un moment, ces personnes s’interrogent sur le contenu de leurs objets, avec un degrés de conscience plus ou moins fort, dans un objectif que je peux trouver discutable ou non. Il semble que se soit là tout le problème, d’une appréciation subjective de la qualité du discours véhiculé par l’objet. Mais il serait encore plus problématique de chercher à imposer à cet objet, et surtout à ses créateurs, cet état de pleine conscience sans être capable de leur fournir des critères pour qu’ils puissent évaluer si leur contenu est recevable selon mes termes « de représentation du monde ».
Attend, quoi ?
C’est sur ce point que l’article me semble critiquable car il implique que de tels critères moraux doivent exister. Sous couvert de défendre le jeu vidéo d’une montée en puissance de jeu amoraux, car véhiculant une violence physique, cruelle et symbolique, l’article en vient à demander à ceux qui les conçoivent de faire preuve d’un devoir de conscience morale. C’est pourtant très délicat, car d’une part tout discours d’une œuvre échappe à son créateur (c’est toute la beauté de la chose). Mais, d’autre part, c’est surtout dangereux, car cela revient à demander aux concepteurs, artistes, industriels, de s’auto-censurer pour répondre aux canons de la bien-pensance formatée par une certaine élite qui estime qu’une œuvre doit être composée de ça, et non de ci.
Je ne cherche pas à blâmer l’article et son contenu, mais à montrer le doux glissement qui s’effectue dans la manière dont on parle politiquement du jeu vidéo. C’est une problématique de notre actualité, où la liberté de parole est tolérée jusqu’à un certain point ; ou la liberté de produire et créer est acceptable si l’objet répond à des critères moraux. Le jeu vidéo n’aurait donc pas de raison d’être laissé de côté…
Et pourtant.
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Crédit de l’image : http://i.ytimg.com/vi/rNCcKmUkpKY/maxresdefault.jpg